3 questions à … Cécile Arbouille, Déléguée d’Etat Major Direction Production Nucléaire / EDF
Cécile Arbouille consacre sa carrière à EDF. Après avoir été Responsable Stratégie Achat, puis Responsable des risques Fournisseurs au sein du Programme Grand Carénage, elle est nommée la première Déléguée Générale au GIFEN (Groupement des Industriels Français de l’Energie Nucléaire), créé en 2018.
Elle occupera avec passion et engagement cette fonction fort exposée, de 2018 à 2022. Son fil directeur c’est la politique industrielle de la filière, avec la conviction que la richesse et la diversité du collectif peuvent donner de l’élan à un renouveau du nucléaire français.
Aujourd’hui, Déléguée d’Etat Major à la Direction Production Nucléaire d’EDF, en charge des Relations Fournisseurs et Politique Industrielle, elle est au cœur du défi de faire tourner le parc des centrales nucléaires françaises, au meilleur coût, en toute sûreté et avec la plus grande disponibilité.
Après avoir, en début de carrière, traité des questions techniques, vous avez abordé le sujet de la politique industrielle pour ensuite prendre les rênes du GIFEN nouvellement créé. Que retenez-vous de cette expérience ?
Effectivement j’ai commencé chez EDF en traitant des aspects techniques. A partir de 2012 j’ai vraiment travaillé sur les questions de politiques industrielles et logiquement j’ai poursuivi dans cette voie à la tête du GIFEN où j’ai passé un peu plus de quatre ans. Je retiens de cette période la certitude du besoin, toujours ancrée en moi, qu’avait la filière d’une organisation qui lui permette de se structurer et d’être plus forte pour aborder les challenges qui allaient se présenter à elle. En effet, les défis sont colossaux.
Pour EDF la construction de nouveaux réacteurs, le prolongement de la durée de vie des existants, mais aussi le CEA et Orano avec leurs propres projets, la défense, le secteur naval, et bien sûr la consolidation d’une filière de fournisseurs, équipementiers, sous-traitants. Vous le constatez la gageure est immense mais la feuille de route est claire, telle que l’a fixée le Président de la République lors de son discours de Belfort du 10 février 2022 : Il faut reprendre le fil de la grande aventure du nucléaire civil en France. Nous sommes face à un défi industriel et humain où le GIFEN a sa part d’utilité, dans ce processus de restructuration et de remobilisation. Il s’agit d’un travail de longue haleine. On sort d’une période de 25 ans où l’environnement n’était pas le même. Il fallait faire tourner le parc avec une perspective de durée de vie de 30 ans sans perspective précise pour l’après. Tout a changé aujourd’hui, et à titre personnel j’ai été vraiment convaincue de l’utilité de cette mission au GIFEN au cœur de la diversité et la richesse de la filière. Un constat qui me donne de l’espoir pour la suite.
Aujourd’hui, chez EDF, vous assumez les fonctions de Déléguée d’Etat Major Relations Fournisseurs et Politique industrielle au sein de la Direction de la Production Nucléaire. Quelles sont, dans un environnement qui a en quelques mois a beaucoup changé, les priorités de ce nouveau challenge ?
Je travaille avec Hubert Catalette, le nouveau Directeur Délégué Maintenance de la Division Production Nucléaire dirigée par Etienne Dutheil qui a voulu redéfinir le pilotage de la maintenance des centrales. Il siège par ailleurs au conseil de gouvernance du GIFEN. La mission de cette nouvelle Direction Maintenance est de définir le comment fait-on, et avec qui, tout en conservant les exigences du maintien de la qualification de notre industrie. Est-ce que l’on fait cette remise à niveau en interne, avec l’ULM (Unité Logistique et Maintenance) ou/et en externe avec des maintenances pilotées par un fournisseur ? La question se pose à nous pour trouver la meilleure solution. Notre objectif c’est la continuité de la production nucléaire en qualité et sureté.
Quant à la construction de nouvelles centrales, en France comme à l’étranger, avec les nouveaux EPR cela concerne la division de Xavier Ursat, Directeur Exécutif Groupe en charge de la Direction Ingénierie Projets Nouveaux Nucléaire. A la DPN (Division Production Nucléaire) nous nous occupons de l’exploitation, c’est-à-dire de faire tourner efficacement le parc de centrales nucléaires français. Fournir de l’électricité au meilleur coût et en toute sécurité, voilà notre mission. Il s’agit aussi de l’augmentation de la durée de vie des tranches. Il faut donc adapter les opérations de maintenance dans une perspective d’utilisation de 50 voire 60 ans tout en réhaussant encore le référentiel de sûreté et en réduisant les temps d’arrêt d’utilisation des réacteurs. La découverte en 2022 du phénomène de corrosion sous contrainte observé sur plusieurs sites a largement mobilisé nos experts. Identifier les causes de ces anomalies a été notre priorité, avec l’objectif d’un retour à la normale, après la réalisation des interventions de maintenance nécessaires, dans les meilleurs délais avec toujours le souci majeur de la sûreté. Notre industrie est parmi les plus contrôlées au monde, sous le contrôle de l’ASN, et aussi via les actions menées au sein du WANO (Word Association of Nuclear Operators), institution qui regroupe tous les exploitants de la planète, au service de la sûreté : audits entre pairs, référentiel commun de sûreté, échange des bonnes pratiques.
Fournir de l’électricité au meilleur coût et en toute sécurité, voilà notre mission.
Comment associer l’ensemble de la filière, et notamment les PME, à cette relance du nucléaire tout en attirant la jeune génération ?
Nous avons besoin, devant l’ampleur de la tâche, d’un collectif structuré et performant. Produire une électricité bas carbone, au sein des territoires, au service de la transition énergétique et en faire une source d’énergie compétitive me semble être un beau défi à relever. Car l’enjeu environnemental majeur, aujourd’hui, c’est la réduction des émissions de CO2. L’attractivité de l’industrie en général ne fait que s’éroder depuis les années 80 au profit des services. Le nucléaire est un outil pour lutter contre le réchauffement climatique. Les jeunes diplômés commencent à être plus sensibles à cet argument.
Si je suis confiante, quant à la question des embauches, c’est parce que je constate que les salariés du nucléaire sont fidèles à cette filière. Nous avons des arguments, en matière de formation et de valeur ajoutée dans le travail, pour attirer d’excellents professionnels sensibles aux objectifs que nous leur proposons. Pour ce qui concerne les PME leur rôle est primordial. Je rappelle qu’elles représentent 85 % de la filière en nombre d’entreprises ! Elles y amènent de la souplesse, de l’excellence et du dynamisme. Mais il est vrai qu’à l’avenir, pour faire partie du jeu, les critères de compétence, d’innovation de digitalisation seront revus à la hausse. Car pour assurer l’enjeu de productivité nous avons besoin d’entreprises qui nous permettent d’être opérationnels et efficaces, plus vite, notamment en ayant des arrêts de tranche plus courts. C’est un enjeu phare de la DPN. Faire bien du premier coup cela sous-entend, en amont, des bonnes formations et un outil industriel performant. L’indépendance énergétique française et la lutte contre le réchauffement climatique sont à ce prix.